Si le peintre bien connu pour ses pochoirs animés de flèches rouges a été convié à quasiment toutes les collectives de la galerie depuis son ouverture, cette exposition personnelle d’un des pionniers de l’art urbain est une première chez Mathgoth.
Il convient de garder en mémoire l’exposition collaborative de 2015 « Synergy » présentée avec le photographe anglais Lee Jeffries, qui avait marqué les esprits. Les débuts de 2021 pointent le fervent désir de prendre un nouveau départ après une année éprouvante, et en ce sens le titre de ce solo show donne le ton aussi sûrement que le tube éponyme des Jackson Five. ABC, ce sont les prémisses d’une écriture, l’écho d’un univers sonore (en anglais ces trois lettres correspondent aux notes la, si, do) en concordance avec des portraits bien choisis. Depuis plus de 40 ans Jef Aérosol, artiste complet pratiquant musique et chant, compose sa propre partition visuelle, conviant dans la rue et son atelier les dieux de son Olympe intime, icônes du rock, du folk et du blues, poètes et plasticiens avant-gardistes ou encore figures politiques emblématiques. En parallèle, il s’amuse à peindre des autoportraits facétieux comme pour conjurer le sort et nous invite à appréhender un art en lien constant avec son engagement, l’actualité, les valeurs qui le portent et les causes qu’il défend. En plein cœur d’une pandémie frappant la planète depuis un an, on clame partout qu’il faut se réinventer, alors Jef Aérosol s’active sous les vapeurs de la bombe pour donner à voir des œuvres à façon inscrites dans notre époque. Au fil des personnalités qu’il met à l’honneur, l’artiste pluridisciplinaire nous rappelle que la musique, la lecture, la culture sont E comme Essentiels. Que leur disparition – pour reprendre le titre d’un fameux roman de l’écrivain oulipien Georges Pérec dans lequel manque justement cette voyelle E – n’est pas pour demain tant que la création perdure et qu’elle forge en nous l’Espoir. Dans cette lignée, Jef Aérosol illustre la langue des oiseaux de Prévert avec subtilité, parsemant notamment ses pochoirs de ces volatiles comme autant de notes pépiant à nos oreilles désormais affublées des cordons d’un masque. Un masque qui ne l’empêche nullement de s’exprimer au travers d’une technique incomparable, où le dripping s’allie harmonieusement aux contours des matrices découpées au cordeau. Pas moins de 26 œuvres déclinant les lettres de l’alphabet latin composent cette exposition. Elles se présentent sous un format unique exclusivement vertical (80 x 60 cm) et des supports originaux constitués de châssis de bois enduits de béton, le tout minutieusement réalisé à la main. Ainsi la matière minérale incontournable de nos paysages urbains, le béton, se pare de personnages encrés sur des morceaux de murs avec un effet saisissant.
Un catalogue original et au format atypique est édité tout spécialement, permettant de conserver la trace de ce que l’on peut appeler un abécédaire en exercice de stèles – et de style – inédit.